La Citadelle de Mutsamudu : “Forteresse des Sultans”
Le sultan Abdallah Ier, initialement gouverneur du sultanat d’Anjouan, est nommé sultan en 1782. Il transfère alors la capitale de Domoni à Mutsamudu. Pour protéger la ville des assaillants qui sévissent de 1790 à 1803, ainsi que des guerres fratricides entre les familles régnantes et les villes d’Anjouan depuis le XIIIᵉ siècle, il décide de l’entourer de remparts, surmontés d’une citadelle.
Celle-ci s’étend sur une superficie de 1 800 m², sur un promontoire naturel appelé Sinéjou, qui domine la ville. Sa construction s’est déroulée de 1782 à 1790. Un escalier de 280 marches descendait de la citadelle jusqu’au cœur de la ville.
La citadelle offre une vue panoramique sur Mutsamudu, sa rade et l’ensemble de la baie. D’un point de vue stratégique, elle avait pour rôle de protéger la cité des razzias malgaches qui sévissaient entre la fin du XVIIᵉ et le début du XVIIIᵉ siècle. Crénelée de tours de guet, elle conserve en son centre les vestiges d’un donjon. Des canons offerts par la reine d’Angleterre et par la France y sont toujours visibles. Il s’agit du seul élément subsistant du système défensif mis en place pendant le sultanat sur l’île d’Anjouan. Les vieux canons que l’on peut encore voir aujourd’hui — certains marqués de la fleur de lys, d’autres de la couronne britannique et des armoiries du roi George — firent feu pour la dernière fois, contre les vaisseaux français de la division navale de l’Océan Indien.
La citadelle témoigne également d’une période marquante de l’histoire liée à l’esclavage. Elle reflète des modes de construction propres à l’Afrique de l’Ouest, utilisant la chaux, des poutres en bois local, des pierres de corail et volcaniques.
Une restauration portée par une mobilisation collective
Le site a été abandonné pendant de longues années. Face à sa dégradation, l’association JCI et la mairie de Mutsamudu ont, en 2009, adressé une demande de restauration à l’ambassade de France à Moroni. Le projet a été financé par les fonds du Codéveloppement de l’ambassade de France, avec des contributions supplémentaires de l’ancien président Ahmed Abdallah Sambi, de la mairie de Mutsamudu et de l’association WEMA, composée principalement de femmes originaires de Mutsamudu vivant dans la diaspora.
Les travaux, menés de 2010 à 2011, ont été dirigés par les architectes Pierre Blondin et Peter Barry, membres du Collectif du Patrimoine des Comores (CPC). À l’issue de plusieurs mois de restauration, la citadelle, l’un des monuments historiques les plus emblématiques des Comores, a été inaugurée le mardi 7 juin 2011. La cérémonie s’est déroulée en présence de plusieurs personnalités : l’ancien président Ahmed Abdallah Sambi, l’ambassadeur de France Luc Hallade, le maire de Mutsamudu Mohamed Bacar Fundi, Fatima Boyer (présidente du CPC), la représentante de l’association WEMA, ainsi que des membres du gouvernement insulaire.
La citadelle restaurée a pour vocation d’accueillir des événements culturels mettant en valeur le patrimoine immatériel local, tels que des soirées de contes, des légendes, des danses et des chants traditionnels.
Une mémoire vivante du patrimoine
En 2012, à l’issue d’une mission conjointe du CPC et de l’École Nationale Supérieure d’Architecture et de Paysage de Lille (ENSAPL), qui incluait des actions de sensibilisation auprès des jeunes et de la population, les jeunes de Mutsamudu se sont constitués en association : Jeunes du Patrimoine des Comores (JPC). Leur objectif : assurer la gestion et l’animation du site.
Depuis la création de l’association des jeunes, la citadelle est devenue un lieu vivant de culture et d’échange pour la jeunesse de Mutsamudu.
Le palais des sultans (Ujumbe) de Mutsamudu
Situation géographique et bref résumé historique
L’île d’Anjouan est située à l’entrée nord du canal du Mozambique. Elle s’étend sur une superficie de 424 km². Son point culminant, le mont N'Tringui, atteint 1 578 mètres d’altitude. La ville principale de l’île, Mutsamudu, fut fondée au VIIIe siècle par un clan de Chiraziens originaires de Domoni, ancienne capitale.
Entre le VIIIe et le XIVe siècle, les fondateurs, descendants d’arabo-islamiques, édifièrent progressivement une ville en pierre. En 1482, le sultan Allaoui Ibn Aboubacar décida de faire construire une résidence royale à Mutsamudu pour la famille du sultanat de Domoni. Il posa la première pierre de ce qui deviendra la première maison en pierre de la ville : le palais des sultans. Ce bâtiment emblématique, situé au cœur de la médina, se trouve à proximité de la grande mosquée et d’un cimetière réservé aux familles royales. Il fut, avec la mosquée du vendredi, l’un des seuls édifices en pierre de Mutsamudu à cette époque.
Au fil du temps, la ville s’imposa comme un port stratégique, un centre d’affaires et un lieu de pouvoir. En 1792, à la suite de la nomination du vizir Andallah Ier au poste de sultan d’Anjouan, la capitale politique fut officiellement transférée de Domoni à Mutsamudu.
Description et spécificité de l’Ujumbe
L’Ujumbe de Mutsamudu est une résidence emblématique de l’île, typique de l’architecture swahilie. L’ensemble présente une allure massive et austère, adoucie par la richesse des moucharabiehs, éléments décoratifs caractéristiques de l’architecture insulaire. Le bâtiment principal mesure en moyenne 9 mètres de large sur 19,7 mètres de long, avec deux niveaux de 3,7 mètres de hauteur chacun, et une terrasse plate entourée d’un acrotère de plus de 2 mètres. Il incarne parfaitement le style swahili, mêlant poutres en bois sculptées, calligraphie arabe et influences africaines, persanes et indiennes.
Le rez-de-chaussée, réservé aux appartements privés du sultan, comporte des plafonds à caissons ornés et des niches en stuc décoratif. À l’étage, un puits central assure la ventilation et l’éclairage, entouré de poutres finement décorées. C’est à ce niveau que le sultan recevait les dignitaires et visiteurs.
L’Ujumbe est non seulement le palais le plus majestueux de l’île, mais aussi un témoin capital de l’histoire des sultanats et du rayonnement culturel comorien dans l’océan Indien, du XVIe au XVIIIe siècle. C’est là que furent signés plusieurs traités entre les sultans et les puissances coloniales européennes, notamment ceux concernant l’abolition de l’esclavage.
Le palais a servi de siège au pouvoir du sultanat jusqu’à sa fin en 1912. Dix sultans y ont résidé entre 1792 et 1912. Durant l’occupation française, le bâtiment a été réaffecté à divers usages administratifs : bureau du résident, école, dispensaire, puis bureau du cadi.
Evolution récente, une lente dégradation suivie d’une réhabilitation (en cours)
Après l’indépendance, le bâtiment fut abandonné et se détériora progressivement, faute d’entretien. En 2008, le vestibule s’est effondré, et l’Ujumbe semblait promis à la démolition. Grâce à l’intervention du Collectif du Patrimoine des Comores, cette démolition fut stoppée. En 2009, le site fut inscrit sur la liste des monuments en péril du World Monuments Fund, ce qui permit d’obtenir une première dotation pour sa restauration.
En 2011, la mairie de Mutsamudu a confié au Collectif du Patrimoine des Comores la gestion de la restauration du palais. Le travail accompli a pu être réalisé grâce au soutien financier de nombreux partenaires : l’Union des Comores, le Ministère français de la Culture et de la Communication, le Fonds des Ambassades américaines, l’UNESCO, l’Ambassade de France à Moroni, la Fondation du Patrimoine (France), l’Association internationale des mairies francophones, la Région Réunion, la Fondation Gerda Henkel, ainsi que des mécènes privés, notamment des commerçants locaux.
Depuis 2011, pas moins de six chantiers se sont succédé sur le site de l’Ujumbe concernant le renforcement structurel des maçonneries, la réparation des solivages en bois et les enduits. La restauration du gros œuvre est actuellement dans sa phase terminale et doit être suivie par la restitution des décors (plafonds, calligraphies, niches en stuc, décorations d’enduit).